Gaëlle Legenne, Paris Match
Dans le sud de Madagascar, oubliés par la pluie sept mois par an, les villageois passent une alliance avec leurs plus beaux arbres.
« Je vais te blesser, te creuser… Pardon si nous faisons cela, mais nous devons le faire pour une cause noble : celle de l’avenir de nos enfants. Ils vont survivre grâce à toi. » A quelques centaines de mètres d’Ampotaka, Adolph implore la miséricorde d’un des géants de plus de 300 ans qui tendent leurs branches noueuses vers le ciel, comme s’ils communiquaient avec lui.
Sur ce plateau calcaire et subdésertique du sud-ouest de Madagascar, au sol aride et rocailleux, les pluies ne tombent que quelques fois par an, de décembre à avril. A peine 400 millimètres les années fastes. Et la saison sèche dure plus de sept mois. Il n’y a ni rivière ni lac, et les nappes souterraines sont très rares. Alors, la nature et les hommes ont mis en place de redoutables stratégies, uniques au monde.
Quatre cent soixante-quinze habitants dépendent des 300 baobabs du seul village d’Ampotaka, le bourg à la lisière duquel, en 1996, le photographe Pascal Maitre a croisé la route des « creuseurs » : « J’étais sur une piste, j’ai vu des hommes remplir ces arbres géants avec des seaux pleins du peu de pluie tombée la veille. En juin 2019, j’y suis retourné pour y rester dix jours. Et tenter de comprendre. Ils m’ont expliqué que le baobab était le seul arbre au monde qu’il était possible de creuser sans le faire pourrir. Et que l’eau qui y était stockée en ressortait limpide. Ils creusent à partir de mi-juin, durant dix jours entiers. Et n’y touchent plus pendant six mois. Alors, l’arbre “cicatrise”. Son tronc, spongieux, se régénère et la nouvelle écorce qui se forme à l’intérieur peut servir de citerne naturelle. C’est unique dans la nature. Le baobab est bien l’arbre de vie qui protège les hommes et l’écosystème. »
Chaque famille possède son baobab, attribué selon des règles strictes et suivant les décisions du conseil des sages. Les plus imposants, véritables totems, peuvent contenir jusqu’à 14 000 litres d’eau. Qu’ils disparaissent, et c’est la catastrophe. Or, avec le changement climatique, les sécheresses plus longues, il meurt de plus en plus de baobabs. Ceux de Madagascar sont inscrits sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature, au titre des précieuses espèces végétales menacées. Adolph, le président du comité de base des creuseurs d’Ampotaka, explique à Pascal Maitre : « Il y a moins de gros spécimens. Certaines années, nous ne pouvons pas les creuser. Ce sont de plus jeunes arbres, d’à peine 250 ans, qui continuent de nous offrir leur ventre. Ils contiennent 7 000 à 9 000 litres d’eau », de quoi subvenir aux besoins d’une famille de 10 personnes pendant trois mois.
Lorsqu’il n’y a plus de réserves d’eau, on fait dix-huit heures de voyage en charrette jusqu’à un village
Restent les neuf autres mois… Alors, il faut recourir au système D : pour boire, les habitants utilisent l’eau dégorgée de différentes plantes ; pour la cuisson, l’eau des pastèques sauvages et des ignames ; pour nourrir le bétail, celle des cactus. On ne lave pas les enfants plus d’une fois par mois. Et lorsqu’il n’y a plus de réserves, on fait dix-huit heures de voyage en charrette jusqu’à un village, où les bidons de 20 litres valent 25 centimes. Une fortune amassée grâce à la vente du bétail, de manioc ou de maïs aux voyageurs de passage. Pourtant, l’eau des bidons n’a rien à voir avec celle des baobabs. Elle n’est pas toujours très claire, parfois contaminée.
Aujourd’hui, à quelques centaines de kilomètres, dans le Grand Sud, un pipeline d’approvisionnement en eau va bientôt être posé. Grâce à plusieurs partenariats et à l’Unicef, 180 kilomètres de tuyaux permettront à 40 000 personnes d’avoir accès à l’eau potable. Rien de tel à Ampotaka. « Il y a quelques années, des tests de carottage ont été effectués jusqu’à 120 mètres. Ça n’a rien donné, pas une source n’a été trouvée », raconte Pascal Maitre.
Près de 47 % des enfants ont un retard de croissance à cause du manque d’accès à l’eau
Luc Herrouin, spécialiste de l’eau et de l’assainissement pour l’Unicef, reconnaît que la situation est catastrophique en pays Mahafaly. Pourtant, il garde espoir : « Des études géologiques ont été faites. Il y a très peu d’eaux souterraines, c’est vrai, mais elles existent ! On manque de financement. Cette région est comme oubliée du monde. Près de 47 % des enfants ont un retard de croissance à cause du manque d’accès à l’eau. On a besoin d’une mobilisation de la communauté internationale. »
Alors, à Ampotaka, on n’est pas près d’arrêter de creuser les baobabs. Lorsque Pascal Maitre a demandé à Kizoty, 8 ans, petit joueur de foot, quel était son rêve pour l’avenir, il n’a pas parlé de jouer en professionnel ou d’avoir des chaussures. Il a simplement répondu : « Pouvoir boire autant d’eau que j’en ai envie… »